.Au Congrès de Saint-Etienne de 1892, les Bourses du Travail avaient constitué leur Fédération nationale, dont la préoccupation immédiate n'était pas seulement de préserver l'indépendance des Bourses de la tutelle municipale, mais d'établir un programme d'action dans le but : 


1° D'unifier et de faire aboutir les revendications des syndicats ouvriers; 

2° D'étendre et de propager l'action des Bourses du Travail dans les centres industriels et agricoles; 

3° De nommer les délégués au Secrétariat national du Travail; 

4° De réunir tous les éléments statistiques et de les communiquer aux Bourses adhérentes et en même temps de généraliser le placement gratuit des travailleurs des deux sexes de tous les corps d'état. 

Dès que Fernand Pelloutier (1867-1901) devint secrétaire général de la Fédération des Bourses, cette organisation ouvrière, grâce à sa stimulante activité, se développa et prit une importance particulière dans le mouvement syndical. Pelloutier alla encore plus loin: il assigna aux Bourses du Travail un rôle, à la fois social, moral, éducatif et revendicatif, qui consistait à créer: 

1° Un service de mutualité (placement, secours de chômage (viaticum); secours contre les accidents); 

2° Un service de l'enseignement (bibliothèque, office de renseignements, cours professionnels, cours d'enseignement général); 

3° Un service de propagande. (Etudes des statistiques et économiques. Formation des syndicats et des coopératives. Demandes de conseils de prud'hommes); 

4° Un service de résistance (mode d'organisation des grèves, et des caisses de grève. Agitation contre les projets de lois, qui inquiètent l'action économique des ouvriers). 

Pelloutier disait «les Bourses "idéales" doivent jouer un rôle dans l'organisation économique nouvelle; ne pas être seulement l'instrument de la lutte contre le capital, mais un facteur dans la formation de l'état social futur... Car, c'est dans ces Bourses du Travail que les hommes se rencontreront pour chercher en commun les moyens de discipliner les forces naturelles et de les faire servir au bien-être humain». 

C'était le rêve de ce militant sincère et dévoué, précurseur du syndicalisme constructif. Mais dans la réalité, qu'elle était à cette époque la portée et l'action des Bourses du Travail? A cet égard, tous les historiens du mouvement syndical s'accordent à reconnaître leur originalité particulière, par le fait qu'elles groupaient indistinctement tous les syndicats d'une même ville et qu'elles unifiaient les intérêts de la classe ouvrière. Si les Bourses du Travail furent très fréquentées pour ses offices gratuits de placement, elles exercèrent d'autre part, une influence décisive sur les grèves, en aidant financièrement les grévistes et sur le plan de l'action, elles avaient réussi à organiser syndicalement les ouvriers vinicoles du Midi de la France. 

Le 1er mai 1896, sous la signature de Fernand Pelloutier, les Bourses du Travail lancent un appel à la classe ouvrière, qui constitue une prise de position devant les problèmes sociaux et un programme immédiat: «Les Bourses du Travail entrent désormais dans la lutte économique et réclame: la réduction de la durée du travail, la fixation d'un minimum de salaire, le respect du droit de résistance à l'exploitation patronale... La Fédération des Bourses sera le cadre de l'action éducative et novatrice qui émancipera les travailleurs organisés de leur servitude et leur permettra de devenir des hommes fiers?et libres.» 

Ainsi apparaissent nettement, le caractère et la signification révolutionnaire des Bourses du Travail, dont l'ascendant fut considérable sur le mouvement syndical, avant la première guerre mondiale.