Le développement et la concentration de l'industrie française renforcent en quelque sorte les énergies de la classe ouvrière; l'épanouissement du capitalisme doit compter avec la résistance organisée et avec l'opposition de plus en plus généralisée.
Au début de la IIIe République, les mêmes phénomènes se produisent que sous le second Empire, lorsque commençait l'industrialisation des grandes entreprises privées: les bénéfices du patronat
avaient atteint des chiffres très élevés, tandis que le salaire des ouvriers était toujours, invariablement bas. Chose paradoxale, le perfectionnement des moyens de production n'avait nullement
modifié la condition ouvrière comme on pouvait l'espérer. Au contraire, la défaite de la Commune et le triomphe de la réaction avaient donné au patronat une puissance arbitraire, illimitée qu'il
exploita abusivement en matière de salaires et sur le plan des heures du travail.
Or, si le capitalisme industriel grandissait, le nombre des ouvriers augmentait constamment. C'était un fait indéniable et Gambetta pensait qu'on ne pouvait indéfiniment négliger l'importance de
la classe ouvrière dans la vie sociale de la nation par leur apport à la prospérité de l'économie française. Par conséquent, il voulait réduire les frictions et la rancune réciproque entre les
patrons et les travailleurs et tentait pour ce but de créer «l'alliance du prolétariat et de la bourgeoisie».
Bien que l'état de siège était encore en vigueur, Barberet, un journaliste républicain, approuvé par Gambetta, se lança dans la propagande de l'idée syndicale. Fait sans précédent, hardiment, il
revendiqua dans le journal Constitution (1er janvier 1872) le droit syndical pour les travailleurs salariés et fit directement appel à eux pour qu'ils s'organisent rapidement.
«Le travail doit se garantir, écrit-il, contre la tyrannie du capital».
Son programme est net et sans ambiguïté: d'abord conquérir les ouvriers à la République, ensuite obtenir du gouvernement pour eux la liberté syndicale, sans restriction, l'amnistie des Communards
et la démocratisation de l'enseignement.
Cette initiative audacieuse avait rendu aux ouvriers la confiance, l'espoir et le courage de reconstituer ou de former des mutuelles et des Chambres syndicales. L'état psychologique dans lequel
les travailleurs réorganisèrent leurs associations professionnelles détruites ou interdites par la réaction, était la crainte et la prudence qui les dominaient, car le souvenir de la terreur
blanche de 1871 était encore présent dans leur mémoire. C'est pourquoi les mutuelles qui renaissent, souhaitent la «conciliation du capital et du travail». Mais en dépit de leur opposition, elles
sont entraînées, par la masse, dans les grèves.
La renaissance du mouvement ouvrier débuta avec la réorganisation des Chambres syndicales des ouvriers de l'imprimerie, des cuirs et peaux, des bijoutiers, des mécaniciens de Paris, des
porcelainiers de Limoges, des chapeliers, des fondeurs, des menuisiers des ouvriers en voiture, des marbriers, des bronziers, des tisseurs, des mineurs de la Loire, et des mécaniciens de Rouen.
Les verriers, jadis hostile à l'idée de l'association, créent leur première Chambre syndicale.
Les revendications ouvrières n'avaient à cette époque aucun caractère révolutionnaire. Réduites au minimum, elles se bornaient au contrat d'apprentissage, à l'ouverture de bureaux de placement à
l'institution d'un arbitrage mixte, à la création de coopératives ouvrières et de bibliothèques.
Si le gouvernement n'autorisa pas encore la fondation du cercle de l'union syndicale ouvrière, il y avait toutefois en 1875, cent trente-cinq Chambres syndicales en activité et c'était déjà une
gageure pour le proche avenir, qui permit à la classe ouvrière vaincue et déprimée, de se ressaisir et préparer les grandes actions collectives pour lesquelles elle était véritablement
destinée.